Source : Le Monde 21/02/14
Avant l'Ukraine, un autre pays de l'ex-URSS, la Biélorussie, a été le premier à se voir infliger des sanctions par l'Union européenne (UE). Dix ans après leur adoption, le bilan est pour le moins mitigé.
Les sanctions n'ont ni enrayé la mainmise du président Alexandre Loukachenko, aux commandes depuis vingt ans, ni affaibli les réseaux industriels opaques qui soutiennent son pouvoir autoritaire. Malgré une montée en puissance depuis 2004, « les sanctions n'ont pas conduit à une ouverture du régime », constate Joerg Forbrig, spécialiste de l'Europe de l'Est au bureau berlinois du German Marshall Fund, un centre de réflexion transatlantique.
Souvent présentée comme la dernière dictature d'Europe, ne tolérant aucune contestation, la Biélorussie n'était pas dans une situation comparable à celle de l'Ukraine aujourd'hui lorsque les premières mesures de l'UE ont été adoptées. Elles sont intervenues dans la foulée du référendum truqué du 17 octobre 2004, autorisant l'homme fort de Minsk à rester au pouvoir ad vitam aeternam en abrogeant les limites au nombre de mandats présidentiels.
A l'époque, ces premières sanctions (interdiction de visa et gel des avoirs détenus dans l'UE) ne visaient que la garde rapprochée de Loukachenko. Le cercle des personnes dans le collimateur a ensuite été étendu après les violentes répressions lors des élections muselées de mars 2006. Mais, à la suite de la libération d'une poignée de prisonniers politiques, les Européens ont suspendu leurs sanctions, en 2008.
Quelques mois auparavant, à l'automne 2007, les Etats-Unis sont entrés dans la danse et ont imposé des sanctions contre des entreprises proches du clan Loukachenko, dans le secteur pétrolier et chimique. L'Europe emboîte le pas à la suite d'une nouvelle mascarade électorale en décembre 2010, une fois de plus accompagnée de rafles d'opposants.
DÉFINIR L'OBJECTIF
Ce dernier dispositif, toujours en vigueur, frappe 232 personnes associées au pouvoir et à son appareil sécuritaire : le président, les hiérarques du ministère de l'intérieur, les responsables des commissions électorales, des juges, etc. Ces sanctions concernent également 25 entreprises aux ramifications étroites avec le régime.
Quatre ans après leur adoption, ces mesures « n'ont pas eu l'effet désiré », relève Jana Kobzova, experte de la région au Conseil européen des relations extérieures, à Bruxelles.
« A la différence de l'Ukraine, dit-elle, les dirigeants biélorusses sont peu affectés par des restrictions sur leurs mouvements en Europe : ils n'envoient pas leurs enfants dans les bonnes écoles européennes et ne placent pas leur argent à Londres ou à Vienne. Or, pour que des sanctions aient un impact, il faut que les officiels visés aient des intérêts dans les pays qui leur imposent ces punitions. »
Deux leçons peuvent être tirées du précédent biélorusse, selon Joerg Forbrig. « D'abord, il ne faut pas surestimer l'effet que peuvent avoir des sanctions, dit-il. Ensuite, pour être efficaces, elles doivent clairement définir le but recherché ainsi que les conditions qui permettent leur levée. » Autant de conditions absentes, juge-t-il, du dispositif appliqué à la Biélorussie. L'Union européenne exige la « libération » et la « réhabilitation » des prisonniers politiques biélorusses. Mais sans préciser le nombre d'individus concernés, ni ce que recouvre leur réhabilitation, observe pour sa part Mme Kobzova.
Dans le cas de l'Ukraine, les sanctions ne sont pas encore entrées en application. Elles sont avant tout une menace dissuasive adressée aux dirigeants du pays. Les Européens se sont bien gardés de mettre en cause directement le président Ianoukovitch pour maintenir un dialogue. Et peut-être, aussi, pour éviter le syndrome biélorusse : l'isolement de Loukachenko n'a en rien atténué sa dérive autoritaire.