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4 mars 2014 2 04 /03 /mars /2014 12:01
Source : Le Monde 03/03/14

 

Le président biélorusse Alexandre Loukachenko, le 21 janvier 2011, à Minsk.

 

Parvenu au pouvoir en Biélorussie en juillet 1994, et régulièrement réélu depuis avec des scores à faire pâlir d'envie tout dirigeant occidental – 75,65 % des voix en 2001, 82,6 % en 2006 et 79,67 % en 2010 –, Alexandre Loukachenko, 59 ans, n'a nullement l'intention de se laisser désarçonner par une quelconque opposition intérieure. Ni, a fortiori, de connaître le sort peu enviable de son ex-homologue ukrainien, Viktor Ianoukovitch, destitué en trois mois par la rue et poursuivi par la justice pour « meurtres de masse ».

 

Le président biélorusse l'a assuré avec fermeté le 23 février, à l'occasion de la journée des défenseurs de la patrie : « Il n'y aura pas de Maïdan » dans son pays – référence à la bouillonnante place de l'Indépendance de Kiev, où s'est nouée dans le sang la déchéance politique de Ianoukovitch (plus d'une centaine de morts, dont au moins 77 pour la seule journée du 20 février). « Il est de votre devoir, à vous les hommes en uniforme, de garantir la paix et la stabilité dans notre pays », a-t-il déclaré. Une exhortation claire lancée aux forces de sécurité de la « dernière dictature d'Europe » à ne pas se laisser déborder par un éventuel soulèvement populaire « à l'ukrainienne ».

Mais le potentat de Minsk, dont la politique repose sur un autoritarisme mâtiné de populisme et de nostalgie soviétique, est-il réellement menacé ? Ou le feu de la contestation qui a embrasé Kiev plusieurs semaines durant est-il voué à ne pas franchir le seuil de la Biélorussie, laquelle partage avec l'Ukraine près de neuf cents kilomètres de frontière, délimitée par un traité datant de 1997 ?

 

LOYAUTÉ MONNAYÉE

Au regard de la fermeté affichée par le régime ces dernières années, Viktoriya Zakrevskaya, chercheuse à l'Institut biélorusse pour les études stratégiques (BISS) sis à Minsk, penche plutôt pour la seconde hypothèse. « Alexandre Loukachenko a toujours fait preuve d'une volonté farouche lorsqu'il s'agissait de préserver la stabilité intérieure – de même que son monopole sur la scène politique –, et ce en usant de tous les moyens, y compris la force. La répression des manifestations qui ont eu lieu après les élections présidentielles de 2006 et de 2010 en est un exemple frappant », explique-t-elle. 

De fait, au fil du temps, l'ex-directeur de sovkhoze (ferme d'Etat en ex-URSS) s'est employé à consolider son assise, tout en muselant ses détracteurs par le truchement de juges vassalisés qui se contentent d'appliquer ses oukases, par crainte de voir leur carrière ruinée. « Depuis 1994, la Biélorussie est passée d'Etat 'partiellement libre' à 'pas libre', selon la terminologie de l'ONG Freedom House. Le régime autoritaire mis en place a achevé sa consolidation à la fin des années 1990. A partir de là, il n'a jamais été sérieusement inquiété par l'opposition, qui n'a aucune influence majeure sur les décisions politiques », observe Mme Zakrevskaya.

Grâce à une redistribution massive des rentes économiques extérieures – issues pour l'essentiel des subventions pétrolières et gazières versées par Moscou et réinjectées dans le système d'aide sociale –, Alexandre Loukachenko a su monnayer la loyauté de la population. Et ce d'autant plus facilement que celle-ci est, à près de 70 %, employée par l'Etat. Une stratégie qui a toutefois ses limites, car l'architecture hautement centralisée du pouvoir, qui, en pratique, ôte tout degré d'autonomie aux structures de gouvernance régionales, pèse sur la popularité du chef de l'Etat. Laquelle s'étiole inexorablement. D'après les derniers sondages, le « batka » (« le père », surnom de M. Loukachenko) bénéficiait en décembre du soutien de 37,7 % de la population, contre 46,7 % trois mois plus tôt...

SOUTIEN RUSSE ?

 

Le président biélorusse Alexandre Loukachenko et son homologue russe Vladimir Poutine, le 25 décembre 2013, à Moscou.

 

Soucieux de maintenir à tout prix le verrou intérieur, le président biélorusse demeure attentif à ce qui se trame au-delà des frontières. L'Ukraine, bien sûr, représente un motif d'inquiétude légitime. « Minsk est préoccupé par la perspective d'une éventuelle invasion du pays par la Russie, car la Biélorussie pourrait alors être happée malgré elle dans le conflit, soit en tant qu'alliée militaire de Moscou dans le cadre de l'Organisation du traité de sécurité collective [organisation à vocation politico-militaire née en 2002 et regroupant la Russie, la Biélorussie, l'Arménie, le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan], soit en tant que simple alliée politique et idéologique, comme dans la foulée de la guerre russo-géorgienne d'août 2008 », analyse Mme Zakrevskaya.

Le gouvernement russe avait exigé de Minsk qu'il reconnaisse l'indépendance des deux républiques séparatistes géorgiennes d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud, ce qu'il n'avait pas obtenu, Alexandre Loukachenko se défaussant habilement sur le Parlement... « La Biélorussie aurait davantage de bénéfices à retirer de sa relation avec Moscou, à la fois en termes politiques et économiques, si le nouveau pouvoir ukrainien demeurait géopolitiquement tourné vers l'Occident, et plus particulièrement vers l'Union européenne », pronostique Mme Zakrevskaya.

Qu'adviendrait-il cependant dans le cas où le virus de la contestation venait à se répandre sur les bords de la Svislotch, la rivière qui baigne Minsk ? La Russie serait-elle prête à intervenir ? La chercheuse n'exclut pas cette hypothèse : « au vu des liens historiques qui unissent les deux pays, et compte tenu de la nature de leur régime politique, il y a fort à parier que les dirigeants russes seraient prompts à soutenir leur partenaire ». Mais, tempère-t-elle aussitôt, « il est peu probable que Loukachenko lui-même manque d'instruments – en termes d'influence ou de coercition – pour faire face à une possible insurrection dans le pays ». A l'instar de l'exécutif et des administrations locales, l'appareil sécuritaire, en effet, est à sa solde.

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