Source : NotreTemps.com 10/12/15
Le Bélarus, avec son économie contrôlée d'une main de fer par l'Etat, n'a a priori pas grand chose en commun avec la Silicon Valley. Pourtant, ses programmeurs ont signé des succès mondiaux comme l'application de téléphonie Viber ou le jeu World of Tanks.
L'ex-république soviétique de 9,5 millions d'habitants est dirigée depuis plus de vingt ans par l'autoritaire président Alexandre Loukachenko. Son économie, maintenue à flot par la Russie, est plus connue pour ses tracteurs ou minerais que pour ses innovations.
Pourtant, avec sa culture scientifique héritée de l'époque soviétique et des incitations fiscales, le Bélarus a su développer un secteur technologique dynamique, qui emploie plus de 38.000 personnes au niveau de vie et à l'indépendance politique rares pour le pays. Ses exportations, avec des taux de croissances atteignant 50%, devraient atteindre 800 millions de dollars cette année.
Des programmeurs informatiques bélarusses et israéliens d'origine bélarusse ont ainsi développé l'application Viber, qui permet d'envoyer des messages ou passer des appels gratuitement entre smartphones. La société israélienne Viber Out a été rachetée récemment par le groupe japonais Rakuten.
Mais la réussite la plus frappante de ce secteur reste le jeu de guerre World of Tanks qui a séduit plus de 100 millions d'amateurs. Pour le directeur de son éditeur, Wargaming.net, Viktor Novotchadov, le dynamisme de la high-tech bélarusse a ses racines à l'époque soviétique.
Le pays abritait alors "la production la plus avancée scientifiquement et les spécialistes les mieux qualifiés", raconte cet homme énergique, interrogé par l'AFP lors d'un récent forum d'investisseurs.
L'Union soviétique était réputée pour la qualité de ses mathématiciens et physiciens. Cette tradition s'est poursuivie après son éclatement par plusieurs générations d'informaticiens de haut niveau et l'apparition de groupes internet capables de rivaliser localement avec leurs concurrents américains.
- 'Autre réalité' -
Au Bélarus, la tendance a été soutenue par la création en 2005 du Parc des Hautes Technologies, zone d'activité où les entreprises du secteur sont exemptées de taxes.
"La plupart des pays de l'ex-URSS n'ont toujours pas d'équivalent à notre Parc des Hautes Technologies" et "se retrouvent distancés", constate M. Novotchadov. "C'est incroyable, ils ont souvent plus de ressources financières que nous, mais cela ne suffit pas".
Cette zone d'activité est en réalité essentiellement virtuelle avec seulement quelques bâtiments près du centre de Minsk. La plupart des 144 sociétés "résidentes" se trouvent ailleurs dans le pays mais bénéficient de ses avantages fiscaux.
La recette semble fonctionner, au point que le Parc embauche hors des frontières du Bélarus. Selon son directeur adjoint Alexandre Martinkevitch, 10% des employés sont étrangers : Allemands, Français, Britanniques et Sud-Coréens.
Ce vivier d'entreprises privées tranche avec les grandes industries publiques représentant une grande partie de l'économie bélarusse. Et cette indépendance financière entraîne une certaine indépendance politique.
Vadim, un programmeur de 24 ans du Parc de Hautes Technologies, confie avoir participé aux manifestations de l'opposition contre la présidentielle d'octobre, remportée haut la main par Alexandre Loukachenko.
"Les programmeurs ont participé à la manifestation contre la base militaire russe, parce que nous formons une intelligentsia et que l'intelligentsia doit se préoccuper de ce qui se passe dans le pays", explique le jeune homme.
Cette manifestation a réuni un millier de personnes récemment contre le projet de base militaire voulue par Moscou, dans une rare expression de mécontentement public.
"Nous n'avons pas peur d'être renvoyés : nous trouverons toujours un autre emploi", estime Vadim, qui demande cependant que son nom de famille et celui de son employeur ne soient pas mentionnés.
Très demandés, les informaticiens bénéficient de conditions de vie confortables avec des salaires mensuels moyens qui sont passés en dix ans de 236 dollars à environ 2.000, selon le directeur adjoint du Parc des Hautes Technologies.
Salaires indexés au dollar, taux d'imposition à 9% contre 13% pour le reste de la population et avantages sociaux : leur situation semble d'autant plus enviable que leur pays traverse une crise économique à cause de la récession en Russie et a dû dévaluer sa monnaie plusieurs fois ces derniers mois.
"Etre programmeur au Bélarus, cela veut dire avoir réussi", résume l'économiste Pavel Daneïko. "Par rapport aux autres Bélarusses, ils vivent dans une autre réalité".
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