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19 novembre 2012 1 19 /11 /novembre /2012 17:11

Source : Le Monde 16/11/12 Charter97 Article en русский

 

Le courage a un prix. On n'en mesure pas toujours l'ampleur. En ce 19 décembre 2010, les trottoirs de Minsk sont gelés, glissants. Un froid sec balaie l'artère principale de la capitale biélorusse. Les bureaux de vote ont fermé depuis une heure, leur verdict était écrit d'avance. Dans les dictatures, la réalité compte peu ; seule s'impose la volonté du dirigeant aux commandes. Ce jour-là, Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis 1994, se taille une toge sur mesure : 80 % des voix en sa faveur dans l'élection présidentielle. Fin du simulacre démocratique. Aux dizaines de milliers de personnes sorties dans les rues pour protester contre les fraudes, il va répondre par la matraque de ses forces de l'ordre.


EN_01051567_0511.jpgLe courage a un prix. Surtout pour ceux qui le nomment devoir. En ce 19 décembre, au milieu de la foule qui se compte, s'encourage, mais ne sait comment orienter sa colère, on croise Natalia Radzina. Elle a les yeux en fusion. On lui demande vers où la foule doit marcher. Elle s'esclaffe. "Vers où ? Mais vers la présidence !" La journaliste n'est pas une guerrière, une barde de la sédition. Simplement une citoyenne exaspérée à force de vivre dans le formol kolkhozien qu'Alexandre Loukachenko a imposé au pays.


 

On lui rappelle cet épisode, deux ans plus tard, alors qu'elle est en visite à Paris à l'invitation du ministère des affaires étrangères. Elle sourit tristement. Tant de choses sont arrivées entre-temps. Natalia Radzina a été contrainte à l'exil pour poursuivre son activité de salubrité publique.

Elle dirige le site d'information le plus important de Biélorussie, Charter 97, en hommage aux signataires de la Charte 77 dans l'ex-Tchécoslovaquie communiste. Le site revendique 100 000 consultations quotidiennes, un chiffre considérable vu la petite taille de ce pays de 9,5 millions d'habitants. Il s'appuie sur des correspondants contraints à la clandestinité qui font la chronique des répressions. "On figure sur la liste noire des sites interdits dans les écoles, les universités, les administrations publiques, les entreprises d'Etat. Dans cette liste, ils font exprès de mélanger les sites politiques, pornographiques et extrémistes." Natalia, 33 ans, a toujours travaillé dans des médias indépendants du pouvoir. Ils ont presque tous fermé.

Fatiguée, apeurée, la majorité silencieuse se laisse tromper, même si elle n'est dupe de rien. Aux élections législatives parodiques du 23 septembre, Alexandre Loukachenko a confirmé sa mainmise sur le Parlement, dont 109 des 110 sièges ont été attribués dès le premier tour à des candidats du pouvoir. "Loukachenko tient le pays par les armes et la peur, déclare Natalia Radzina. Il y a des assassinats, des arrestations, des intimidations, des licenciements massifs. Les gens se transforment en ombres. Mais sa popularité réelle ne dépasse pas les 20 %."

L'élection présidentielle de décembre 2010 a condamné les espoirs de libéralisation. Près de 700 personnes furent arrêtées, la société civile décimée. L'admirable Ales Bialiatski, le président de l'ONG Viasna, croupit en prison depuis plus d'un an. Début novembre, on a appris que le principal rival d'Alexandre Loukachenko lors de la présidentielle, Andreï Sannikov, remis en liberté en avril après une détention épouvantable, a finalement obtenu l'asile politique au Royaume-Uni. "C'était une décision difficile pour moi, mais je n'avais pas d'autre solution. Soit subir des tortures en prison, soit me taire et ne plus rien faire", a confié M. Sannikov au site Charter 97. Natalia Radzina a fait partie de son équipe de campagne.

safe_image.php.jpgC'est aussi à ce titre qu'elle a été arrêtée, dans la foulée du 19 décembre 2010. Après un mois et demi de détention, elle a été libérée fin janvier 2011, à la veille d'un sommet européen. Mais on lui impose alors une assignation au domicile de ses parents, loin de Minsk, à Kobryn. Son père est un ancien militaire, sa mère a toujours travaillé dans une école maternelle. Chaque jour, la police se montre. Les lignes sont sur écoute, ses contacts sous pression. Une nuit, elle fuit vers la Russie, en voiture. "J'avais laissé mon passeport au KGB. Heureusement, il n'y a pas de contrôle à la frontière." Arrivée à Moscou clandestinement, elle est aidée par l'ONG Memorial, afin de légaliser sa situation.

Mais avant l'étape suivante de son exil, la Lituanie (elle vit aujourd'hui en Pologne), elle reçoit une aide inattendue, en provenance du Kremlin. "Il me fallait un visa de sortie sur mon titre de voyage. C'est Vladislav Sourkov, le premier adjoint du chef de l'administration présidentielle, qui a donné l'ordre en ce sens", assure-t-elle. Ce coup de pouce de l'idéologue du pouvoir russe illustrerait les rapports complexes, souvent conflictuels, entre Moscou et Minsk. Entre eux, l'amitié est en courant alternatif.

Rien en tout cas dans les propos de Natalia Radzina ne témoigne d'une complaisance à l'égard de la Russie. "Ces deux derniers siècles, nous avons perdu notre culture, notre histoire, notre langue, à cause de la domination russo-soviétique. Et Loukachenko poursuit cette oeuvre aujourd'hui."

Le 15 octobre, les Vingt-Sept ont décidé de prolonger d'un an le gel d'avoirs et l'interdiction de visa en vigueur contre 243 responsables politiques, policiers, judiciaires impliqués dans les répressions. Le gel des avoirs de 32 sociétés commerciales, appartenant à des proches du pouvoir, est également reconduit. Insuffisant, selon Natalia Radzina. Elle milite pour un durcissement des sanctions contre son pays. "Le dialogue avec un dictateur est impossible car mener des réformes signifierait sa fin. Loukachenko fait du chantage dans deux directions opposées, la Russie et l'Union européenne, en alternant mais sans jamais choisir. Il faut de nouvelles sanctions, et pas seulement une prolongation, assène-t-elle. Il faut élargir la liste des oligarques et de leurs entreprises, et, surtout, arrêter d'acheter les produits pétroliers, qui enrichissent la famille Loukachenko, le KGB et quelques businessmen."

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commentaires

K
Elle est belle votre défenseuse de la liberté. Je signale au passage que cette Natalia Radzina vient de déclarer dans une interview à France24 avoir de la sympathie pour le parti fasciste ukrainien Svoboda, qui célèbre régulièrement les Waffen SS. Quand on sait que 25% de la population bielorusse a été exterminée par les nazis pendant la seconde guerre mondiale, on voit la représentativité de cette personne dans la société biélorusse.
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